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Comment expliquer la forte sécheresse des chutes d'Iguazú

Les chutes d'Iguazú, une des sept merveilles naturelles du monde, situées à la frontière entre le Brésil et l'Argentine, sont touchées de plein fouet par une sécheresse exceptionnelle. Les paysages de carte postale où se mélangent les couleurs ont laissé place à des chutes d'eau sans eau...

Chutes d'Iguazú (Argentine) ©Sine Limes

Les chutes d'Iguazú - "Cataratas del Iguazú" en espagnol - représentent un ensemble de cascades du fleuve Iguazú, situé à la frontière entre la province de Misiones en Argentine et l'Etat brésilien de Paraná. 


Iguazú doit son nom originel au guarani - langue amérindienne des peuples guaranis des régions amazoniennes du Brésil, d'Argentine, de Bolivie, de l'Uruguay et du Paraguay - qui signifie "Eau Grande".


Inscrites au Patrimoine Naturel de l'UNESCO, les chutes d'Iguazú sont habituellement célèbres pour leur immensité d'eau qui se déverse et leurs paysages à couper le souffle. Des milliers de touristes ébahis découvrent chaque jour cet endroit magique. 

 

Cependant, ces derniers mois, celles-ci doivent faire face à une sécheresse extrêmement forte qui métamorphose complètement le paysage. "La région de la forêt tropicale de Paraná (écosystème auquel appartiennent les chutes du fleuve Iguazú) se caractérise par de fortes variations naturelles du climat à différentes échelles temporelles (par exemple intersaisonnier ou interannuel), mais elle est également sensible au changement climatique" a expliqué Claudio Menendéz, professeur à l'Université de Buenos Aires et chercheur du CONICET au sein du Centre de Recherches de la Mer et de l'Atmosphère."Nous avons actuellement une forte sécheresse à Iguazú mais il y a quelques années nous avions des crues extraordinaires. Cependant, la sécheresse actuelle est une des plus significatives en comparaison aux registres historiques."

 

Personne ne reste indifférent face à ce phénomène de sécheresse observable actuellement, bien que, selon Luis Lucifora, chercheur indépendant du CONICET, "dans les années 1960 et 1970, il y a déjà eu de nombreuses sécheresses de la même magnitude que celle que nous vivons aujourd'hui. De plus, en 1944, une sécheresse a emporté les niveaux d'eau des fleuves encore plus bas que celle d'aujourd'hui."


Par conséquent, cette sécheresse ne peut pas être considérée "historique" comme on peut l'entendre dire mais elle a été particulièrement intense. Les facteurs à l'origine de ce phénomène climatique sont d'ailleurs nombreux. 

Tout d'abord, selon Luis Tuninetti, directeur - aux côtés de Fernando Forgioni - de l'Observatoire Régional du Changement Climatique de l'Université Nationale de Villa María, "le principal facteur sont les incendies en Amazonie l'an dernier. Ils ont suscité des interrogations de la part de nombreux secteurs concernant le rôle de l'Etat brésilien dans cette crise. Ces incendies forestiers ont un impact sur le cycle hydrogéologique de l'eau."


En effet, les niveaux élevés de déforestation dans ces zones sont particulièrement responsables de la sécheresse. "L'expansion des monocultures, particulièrement du soja, et de l'élevage sont les grands responsables", explique Nancy Arizpe, professeure du CONACYT - Conseil National de la Science et de la Technologie - assignée au CONABIO - Commission Nationale de l'Usage et de la Connaissance de la Biodiversité. "Un des facteurs qui affecte directement la région de Misiones, en Argentine, sont les plantations forestières. Celles-ci ont besoin d'importants apports en produits chimiques. En plus d'être polluée, la zone perd sa couverture forestière originelle." Ajouté à cela l'urbanisation qui "implique l'augmentation des températures dans les microrégions, principalement par l'asphalte."

 

Sans grande surprise, on en revient toujours au même constat, les activités humaines sont à l'origine de nombreuses modifications ayant des impacts aggravants sur le long terme. "Le cycle hydrologique en Amérique du Sud est très intense, comme on peut l'observer dans les chutes d'Iguazú de manière éxubérante. Le débit du fleuve Iguazú dépend de la pluie, de l'évapotranspiration et du ruissellement dans cette ample région qui comprend la forêt tropicale de Paraná. Chacune de ces variables sont altérées par l'action humaine: les précipitations par le changement climatique, et l'évapotranspiration ainsi que le ruissellement des eaux sont modifiés par la déforestation, au changement dans l'usage des sols et aux barrages", a expliqué Claudio Menendéz.

LES BARRAGES BRÉSILIENS, COUPABLES ?

En effet, rappelons-le, le fleuve Iguazú a une longitude de 1320 km et 98% de la surperficie de son bassin appartient au Brésil contre 2% à l'Argentine. Attirées par le débit d'eau de ce fleuve, les centrales hydroélectriques se multiplient dans cette zone. D'après Claudio Menendéz, "le dénivelé de ce bassin a constitué une grande attraction de part son profit hydroélectrique, ayant comme résultat la construction de 11 barrages au Brésil. Le dernier a été inauguré il y a environ un an et se trouve à quelques kilomètres en amont des chutes. Le débit du fleuve Iguazú est alors contrôlé par ces barrages. Face au manque d'eau, les barrages ferment leurs vannes. À cette occasion, le gouvernement argentin a dû prendre des dispositions pour que le gouvernement brésilien laisse passer de l'eau afin d'alimenter les barrages argentins des fleuves Paraná et Uruguay."


Il est difficile de croire, en voyant les images actuelles des chutes d'Iguazú, qu'en juin dernier le débit du fleuve avait triplé. En effet, l'hiver particulièrement humide avait provoqué une augmentation non négligeable du niveau de l'eau des chutes. "Lorsque le phénomène inverse se produit avec des précipitations extraordinaires, les barrages ne peuvent pas retenir l'eau et cela s'intensifie à cause de la déforestation, provoquant des inondations et des dégâts au niveau des parcs nationaux", a confirmé le chercheur du CONICET.


L'ouverture et la fermeture des vannes des barrages ont des impacts directs et négatifs sur le cours naturel du fleuve, et par conséquent sur le débit d'eau des chutes d'Iguazú visitées quotidiennement par les touristes pour contempler cette eau qui se déverse sans s'arrêter. Bien sûr, il y a également un phénomène "naturel" au cours duquel le débit du fleuve varie selon les pluies tombées en été. Par exemple "lorsqu'il y a des étés secs, comme celui qui vient de se terminer, les barrages retiennent plus d'eau et le niveau d'eau des chutes, en fin de fleuve, diminue. En résumé, cela dépend des négociations entre le Brésil et l'Argentine sur la quantité d'eau que les barrages peuvent retenir", a indiqué Carlos Reboratti, géographe et chercheur scientifique du CONICET. 


Les barrages installés par les centrales hydroélectriques ont de lourdes conséquences sur l'environnement, la biodiversité, les écosystèmes ou encore le rythme biologique des fleuves. En contrôlant continuellement le débit de l'eau du fleuve, les barrages ne laissent guère le temps à la nature de réagir par elle-même. 


En effet, "les barrages ont des conséquences sur la biologie des poissons et d'autres espèces qui se servent de l'intensité des crues comme un déclencheur d'évènements importants de leur cycle de vie, telles que les migrations ou les reproductions", a expliqué Andrés Zurita tout en prenant le temps d'indiquer que "les barrages agissent comme une barrière pour les mouvements migratoires de poissons mais ils peuvent également être une porte d'entrée à des espèces invasives". 


Par conséquent, lorsque le débit de l'eau du fleuve est déjà faible, la présence des barrages ne fait qu'aggraver la situation car, pour que les centrales hydroélectriques restent opérationnelles, elles continuent de retenir l'eau sans prendre en compte la protection de l'environnement qui l'entoure. Le résultat n'est pas surprenant, le fleuve est encore plus asséché et les chutes d'Iguazú en payent le prix fort. 


"Les altérations aux paysages, introduites par la construction des barrages et la déforestation, affectent la biodiversité, particulièrement dans un système riche et sensible comme celui d'Iguazú qui inclut plus de 2000 espèces de plantes, 450 espèces d'oiseaux, quelques 80 espèces de mammifères, et d'innombrables espèces invertébrées", a confirmé Claudio Menendéz. 

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE, RESPONSABLE ?

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Lorsqu'il y a des phénomènes météorologiques extrêmes, en général, nous pensons immédiatement aux conséquences du changement climatique. Cependant, la situation climatique des chutes d'Iguazú est particulière et complexe. La frontière entre les conséquences d'un phénomène naturel et celles du réchauffement climatique est étroite. Sans oublier l'effet néfaste des centrales hydroélectriques.

 
D'après Andrés Zurita, "il est très difficile d'établir une connection directe entre un évènement particulier et le phénomène du changement climatique. Le Bassin de la Plata a connu, entre le 20ème et le 21ème siècle, des périodes multiannuelles 'sèches' et 'humides' alternativement. Sans aucun doute, le changement climatique aura un effet sur la Plata, bien que les modèles climatiques prédisent une augmentation des précipitations enregistrées au cours des dernières décennies."


De plus, cette forte sécheresse est le résultat de plusieurs années de beaucoup de pluies. Cela semble parfaitement contradictoire, mais il ne faut pas oublier les conséquences du phénomène "El Niño". 


En effet, selon Luis Tuninetti, "le courant du Niño était jusqu'à présent dans une phase neutre mais il s'approche subtilement vers une phase du 'Niño'. On peut parler d'un phénomène de sécheresse certainement naturelle renforcée par le changement climatique."


Luis Tuninetti explique que cette approche est seulement théorique car "il n'y a aucune étude spécifique sur cette thématique. Ce phénomène est récent et unique dans cette zone. Cependant, ces phénomènes peuvent se reproduire en d'autres phénomènes extrêmes, comme par exemple les cycles des ouragans dans l'hémisphère nord. Ils sont totalement naturels mais renforcés par le changement climatique."


Par conséquent, le changement climatique joue bel et bien un rôle dans les variations climatiques extrêmes de cette région et il a des conséquences directes sur les chutes, mais pas seulement. "Le changement climatique se reflète dans les changements de température et de précipitation, par exemple la sécheresse. Dans ce cas précis, le changement climatique que nous pouvons observer fait aussi bien référence à la sécheresse du fleuve qui alimente les chutes mais également aux régions limitrophes du fleuve touchées de plein fouet dans les zones utilisées pour les cultures", a expliqué Nancy Arizpe.

QUEL FUTUR CLIMATIQUE POUR LES CHUTES D'IGUAZÚ ?

Ces phénomènes extrêmes font réfléchir. Dans le cas des chutes d'Iguazú, ce patrimoine naturel riche d'une biodiversité diverse et variée, une question se pose : vont-elles devoir faire face à des périodes de sécheresse de plus en plus fortes et fréquentes ? 


"Notre groupe a examiné quelques unes de ces questions dans certains articles publiés récemment, en analysant les simulations numériques réalisées avec des modèles climatiques régionaux. Les projections suggèrent que, sur une grande partie du Brésil, le climat sera moins humide avec un impact négatif sur le ruissellement de l'eau. Au contraire, dans le Nord-Est de l'Argentine, et dans certaines parties du Paraguay et du Sud du Brésil, la tendance est complètement opposée", a commenté Claudio Menendéz tout en expliquant pourquoi le cas d'Iguazú est particulier. "Comme les chutes d'Iguazú se situent entre ces deux grandes régions, la projection climatique des chutes est incertaine. Un autre facteur ajoute de l'incertitude: la méconnaissance de l'évolution de la végétation et de l'usage des sols au cours des prochaines décennies."


Les chutes d'Iguazú, comme son nom l'indique, sont admirées par de nombreux touristes pour ses eaux qui se déversent en plein coeur d'un paysage verdoyant. Cependant, si les périodes de sécheresse s'accentuent avec le temps, elles vont perdre leur attraction principale, bien que "découvrir les chutes dans une situation exceptionnelle comme celle-ci est également intéressant. Si les touristes viennent pour découvrir un écosystème d'une richesse singulière, alors le tourisme ne devrait pas être touché", indique Andrés Zurita. 


Au-delà du tourisme national et international, la sécheresse dans cette zone a également un impact négatif sur les peuples locaux tels que les communautés autochtones Guarani. 


De plus, il va falloir s'habituer à être témoin de phénomènes climatiques extrêmes à l'échelle internationale. "Ce type de phénomènes à caractère extrême vont se renforcer au niveau international, cela est certifié par l'IPCC -Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat -. Il faut maintenant analyser le grade à travers lequel ce type de phénomènes vont s'intensifier. Cela va dépendre fondamentalement des mesures prises par les gouvernements pour faire face au changement climatique qui passe de plus en plus au second plan", a commenté Luis Tuninetti. 


A l'heure actuelle, les gouvernements du monde entier sont tournés essentiellement vers la crise sanitaire du COVID-19. "La politique environnementale au niveau internationale n'est absolument pas bonne. Elle n'était déjà pas satisfaisante avant mais aujourd'hui, avec la crise sanitaire du coronavirus, cela s'est intensifié avec, par exemple, la suspension de la COP26 en Ecosse", a-t-il exprimé. 

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