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Contre le djihadisme, «travailler sur le changement des systèmes sociaux et limiter le sentiment d’exclusion»

Pouvez-vous résumer en quelques mots l’objectif de votre association basée à Nice?
Le but de notre association est de comprendre et lutter contre les phénomènes de rupture sociale. Depuis trois ans, nous nous intéressons plus particulièrement aux phénomènes de cette rupture qu’est la radicalisation.


Comment ces jeunes, qui s’apprêtent à sauter le pas du djihad, arrivent jusqu’à votre association ?
Les jeunes que nous suivons viennent soit de fait ou sont missionnés par la préfecture et le conseil départemental, c’est-à-dire l’Etat. S’ils sont mineurs, ils relèvent d’une mesure judiciaire de protection de l’enfance, donc leur présence est obligatoire. S’ils sont adultes, ils sont sous interdiction de sortie du territoire (IST) et viennent nous voir une fois par semaine pour essayer de faire lever cette IST.


Par conséquent, quel est le processus de dé-radicalisation de ces jeunes embrigadés et comment tenter de retisser ce lien social qui est l’objectif premier de votre association ?
En ce qui concerne les mineurs, les parents sont reçus en parallèle. A cet instant, il y a un premier niveau qui consiste à la « recréation » de liens affectifs. C’est seulement si ce transfert est effectué que nous pouvons passer à la deuxième étape : celle d’un discours alternatif. Mais si le premier niveau échoue, ils sont tellement enfermés dans leur certitude qu’il n’y a rien à faire…


Qu’ils soient musulmans pratiquants, musulmans de culture ou qu’ils soient convertis, qu’est-ce qui pousse les jeunes musulmans de France et d’autres pays européens à partir faire le djihad ?
Si on fonctionne par niveau, il y a d’abord le plus bas, celui qui s’explique par une fascination pour l’idée de califat, soit l’envie de restaurer la grandeur de l’Islam. C’est l’idée qu’en créant un 6ème califat et en réinstaurant la grandeur de l’Islam passée, eux-mêmes se revaloriseront. 

Ensuite, au niveau supérieur, il y en a qui sont vraiment dans l’idéologie djihadiste de conquête. Ce n’est pas seulement l’idée de califat qui compte, mais celle d’être un guerrier qui va agrandir la surface de l’Islam. Ceux-là ne sont pourtant pas les plus nombreux, étrangement…

Depuis 2015, l’Europe est la cible d’attentats terroristes successifs revendiqués ou attribués à Daesh. Pour comprendre ce phénomène, Patrick Amoyel, président de l’association Entr’Autres à Nice en France, mais aussi psychanalyste, explique le long processus de déradicalisation des jeunes enrôlés dans les réseaux djihadistes.

Alors, comment faire pour endiguer le phénomène ?
Déjà, ce phénomène n’est pas spécifique à la France et aux pays européens. Mais, à très long terme, il faudrait travailler sur le changement des systèmes sociaux et limiter ce sentiment d’exclusion. Il serait nécessaire de faire de la prévention dans les lycées et les collèges sur ce sentiment d’humiliation et de « complotisme ». A l’heure actuelle, il faudrait s’attaquer aux réseaux et prédicateurs extrémistes. Pour résumer, la réponse sécuritaire doit être immédiate, tandis que les changements de différents points de la société se feront à plus long terme. En effet, changer les banlieues prendra 20 à 30 ans…


Cependant, pourquoi a-t-il fallu attendre les attentats de Paris, en novembre 2015, pour que la question de la radicalisation des jeunes soit enfin prise au sérieux par les autorités ?
C’est vrai que c’est très étonnant… Je pense que le phénomène a été minimisé. Il y a eu la peur de s’attaquer frontalement à ce problème et de nommer correctement les choses, car tout ça pouvait créer des fractures dans la société française. Mais depuis les derniers attentats, la fracture s’est créée de toute façon.


Selon vous, pouvons-nous dire que cela relève d’une déficience des autorités ?
Je pense qu’ils ont fait ce qu’ils ont pu, mais ils avaient de mauvais diagnostics… Ils n’ont pas pensé qu’il fallait financer la recherche universitaire là-dessus, créer des réseaux de recherche, donner aux universitaires les moyens d’avoir des sources de renseignements pour comprendre le phénomène, etc. Mais aujourd’hui, ils sont en train de le faire.


Enfin, cette montée des jeunes adeptes au djihad est-elle en lien direct avec la politique étrangère de la France en Syrie ou encore en Libye, comme le prétendent certains observateurs ? Bien qu’Olivier Roy, islamologue, a publié une tribune dans «Le Monde» disant qu’avec ou sans la question syrienne, les jeunes des banlieues étaient déjà en «rupture»…
Evidemment ! Voilà quelqu’un qui dit des choses bien… C’est effectivement un phénomène ancien. L’affaire syrienne et daechienne ont seulement été les catalyseurs, mais tous les ingrédients étaient déjà là avant.

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